lundi 21 décembre 2009

Les dames de la côte

Anita a dans les 40 ans, peut-être moins, difficile à savoir. Elle a un visage qu'on n'oublie pas, différent des autres vendeuses de la plage. Plus long, plus anguleux avec un sourire très doux. Au bout de deux ou trois jours passés à s'apprivoiser mutuellement, elle m'en dit plus sur elle. Comment elle est venue du Rajasthan avec sa mère et ses trois enfants parce que son mari ne pouvait plus entretenir sa famille. Il a été renversé par une voiture et a perdu l'usage de ses jambes. Pas de sécu là-bas. Sa voix se casse quand elle dit qu'elle regrette juste de ne pas pouvoir envoyer ses enfants à l'école mais 600 roupies (9 euros) par mois et par enfant, ce n'est pas dans ses moyens. Elle doit payer une sorte de patente pour arpenter son petit bout de plage et graisser la main aux deux flics en ray-ban que j'ai vus un matin de mes propres yeux racketter une de ses collègues. Et les affaires ne sont pas bonnes cette année. Sa fille aînée, Sonia, l'aide. A 11 ans, c'est une gamine montée en graine, toute en jambes, juste un peu menue. Elle ne fera peut-être pas d'études mais elle passe haut la main son CAP de vendeuse tous les jours. Elle n'a pas son pareil pour vous faire promettre que vous lui achèterez quelque chose. Si ce n'est pas aujourd'hui, demain ou le jour suivant, elle attendra... La grand-mère, elle, son ballot sur la tête et sa bouche édentée, avoue ses 80 ans mais n'a pas de temps à perdre en bavardages. Seules celles qui sortent leurs billets à la vue de ses sarongs l'intéressent, les autres, passez muscade ! Une autre jeune femme se mêle à la conversation. Elle est venue ici pour six mois, laissant ses jeunes enfants à leur grands-parents. Elle retourne les voir tous les deux mois en bus jusqu'au Karnataka voisin. Oui, c'est long six mois, mais c'est comme ça... Et puis, arrive Sunita. Elle, elle a pu faire scolariser à Goa ses deux garçons, Santos et Mahesh, et elle en est très fière. Mais sa grande est restée au pays avec son mari. Quel âge a-t-elle ? 18 ans. Tiens, comme la mienne. Elle s'appelle Lolita et elle attend son premier bébé, elle est enceinte de 5 mois... Sunita est contente, elle est chrétienne et sa fille vient la voir pour Noël. La mienne aussi. On évoque la joie des retrouvailles et on se sépare sur une promesse, penser chacune à l'autre le soir du 24 décembre...
Je dédie ce billet à ma copine Véro qui a eu l'idée géniale de créer des voyages pour aller à la rencontre d'autres femmes de par le monde. Si ça vous intéresse, c'est . Et bien sûr, à toutes les mamans de la terre...

14 commentaires:

karmara a dit…

Très jolis portraits ! Penses-tu que tu auras l'occasion de les revoir avant ton retour en France ?

Eperra a dit…

- Je ne sais pas, il faudrait que je retourne à Goa et sur la même plage. Mais c'est vrai que je n'arrête pas de repenser à Anita qui n'a même pas de quoi envoyer ses enfants à l'école ...

Hermione a dit…

Tout est si mal partagé sur cette terre ! Dans mon précédent boulot, je bataillais contre l'absentéisme et le décrochage scolaires, souvent cautionnés par les parents. C'est un tel luxe pourtant, l'éducation à laquelle nous avons droit !

Unknown a dit…

ça remet les pendules à l'heure... ça fait pleurer un peu aussi...

Bisous Marie

Lilie a dit…

C'est tellement dérisoire 600Rs par mois pour nous, et pourtant c'est ce qui retient ses enfants éloignés de l'éducation qui leur permettrait de s'en sortir pour de bon. L'Inde, le pays où votre vision du monde prend une grande claque !
Tu as eu de la chance de pouvoir discuter un peu avec elles, parce que les vendeuses que j'avais rencontrées sur la plage ne parlaient pas un mot d'anglais. Je crois que c'est le plus grand regret que j'aurai en Inde : toutes ces personnes que l'on croise et avec qui on ne peut pas communiquer faute de langue commune...
Allez, je vais regarder tes photos histoire de rêvasser un peu :)

bricol-girl a dit…

Tes portraits sont autrement plus parlants qu'un sujet de 3 mn au JT entre la truffe et les SDF

lakevio a dit…

Ce billet est magnifique et très touchant même s'il serre le cœur. profitons de notre chance et tâchons d'ouvrir notre cœur et peut-être notre bourse !

Je te souhaite un très joyeux Noël avec ta fille auprès du sapin blanc !
Bises

Simplement ... a dit…

Tes mots m'ont bouleversée !
Il y a tant à apprendre, à découvrir.
Merci ma chère Ppn.
Je te souhaite un très beau mardi et t'embrasse tendrement.
Marie-Ange

Moukmouk a dit…

Oui tellement vrai, tellement la tristesse. Et dire que l'Inde avait un bon système d'éducation publique avant que le FMI leur impose "les ajustements structurels". La meilleure méthode pour créer l'injustice et la misère. L'occident est coupable.

bérangère a dit…

je savais que tu serais sensible aux dames de la côte. Ton âme les a repérées, ta plume les a épinglées avec tact et brio...Du Ppn quoi ! bises ma belle

bricol-girl a dit…

Est-ce indécent de te souhaiter un joyeux noël au milieu ,de tant de misère?

incertaine a dit…

Je ne sais plus si je te l'ai souhaité; ce n'est pas grave, je recommence. Joyeux Noël lointain, et bises de métropole....

Maroc a dit…

Tres beau post. Merci

Brigitte a dit…

J'aime lire ces tranches de vie , différentes et tellement plus rudes que celles qu'on vit ici , difficiles d'être femmes en Inde !