mardi 29 juin 2010

Un jour mon prince viendra

En débarquant en Inde, parmi les fantasmes que je nourrissais à l'égard de ce pays, je rêvais de rencontrer ... un maharajah. Un vrai, en chair en os, peut-être enturbanné, portant le sherwani avec élégance, et des pierres précieuses à chaque doigt. Et bien, c'est fait ! Hier, nous avons pris notre breakfast à la table d'à côté du maharajah de M.* Pour planter le décor, nous étions ce week-end à Ooty. Udhagamandalam, ou Ootacamund, ou Ooty (prononcer : outi) pour les intimes, est un peu à l'Inde du Sud ce que sont Simla ou Mussoorie à l'Inde du Nord : un havre de fraîcheur pendant les grosses chaleurs. A l'époque du Raj Britannique, ces messieurs de Bombay y avaient leurs résidences secondaires, leurs parcs, leur clubs et leurs hippodromes. De nos jours, c'est une station climatique de montagne (2200 m d'altitude) qui reçoit les familles aisées de Mumbai d'avril à mai. Un de nos amis nous avait parlé d'une très belle demeure du 19è transformée en hôtel, et nous avions décidé d'y séjourner. Ce que nous ignorions c'est qu'elle est toujours la résidence d'été d'un authentique maharajah et qu'à peine étions-nous en train de regarder attentivement les photos anciennes recouvrant les murs que nous apprenions que ledit maharajah était attendu pour le week-end. Mon cœur de midinette nourri à Points de Vue et Gala en tressaillit aussitôt. Au dîner, je lorgnais discrètement les tables voisines menant mon enquête telle Miss Marple. Je crus toucher au but quand un monsieur très distingué se mit à nous commenter les fresques de la salle à manger dans un anglais très oxfordien. Lundi matin, l'empereur, sa femme et le petit prince, non je m'égare ... lundi matin donc, alors que je trempais mes toasts dans le thé (oui, je sais, ça ne se fait pas), je vis entrer un être androgyne, dont la chemise négligemment ouverte laissait apercevoir un sein flasque. Puis se rapprochant, je me demandais si j'avais en face de moi la femme à barbe. For God's Sake ! L'homme (puisque de près c'en était un) portait des cheveux longs filasses, un pashmina jeté sur ses épaules, des pieds nus dans ses Todd's et des lunettes sur le front à la manière de Bernard Pivot. Il fit changer pour un fauteuil Voltaire le siège sur lequel son auguste postérieur s'apprêtait à se poser, apostrophant la valetaille avec rudesse, puis fit mander le manager de l'hôtel qui se prosterna ou presque devant lui. Je m'attendais à un homme raffiné, esthète et mécène après avoir lu  le panégyrique de Sa Seigneurie sur la documentation de l'hôtel, et j'avais devant moi un gros lourdaud, imbu de sa personne et tristement seul. Voilà comment prennent fin les rêves...
* Eu égard à ce qui suit, le lecteur comprendra que je préfère lui garder l'anonymat. 

vendredi 25 juin 2010

Mourir d'aimer

On estime à 5000 par an le nombre des crimes d'honneur perpétrés en Inde. Une situation suffisamment grave pour que la Cour Suprême indienne soit intervenue en début de semaine pour exiger des réponses du gouvernement central et de huit états particulièrement concernés. Selon la définition de l'ONG  Human Rights Watch, les crimes d'honneur sont "des actes de violence, le plus souvent des meurtres, commis par les membres masculins d'une famille à l'encontre de ses membres féminins, lorsqu'ils sont perçus comme cause de déshonneur pour la famille tout entière". Récemment, une série de faits divers sordides ont ému l'opinion publique en Inde, occasionnant manifestations et débats télévisés ou initiés par les grands journaux du pays. Ce qui a le plus choqué a été de  constater que ces pratiques d'un autre âge ne concernaient  plus seulement des états ruraux dont certains villages sont dominés par les khaps panchayats, sortes de conseils de castes qui dictent leurs lois, mais pouvaient toucher la capitale moderne de l'Inde. Deux affaires macabres de couples assassinés par leur famille ou leur belle-famille ont eu récemment pour théâtre New Delhi. Trois suspects ont été arrêtés aujourd'hui même, soupçonnés d'un triple homicide, celui de la sœur et du beau-frère de l'un, pourtant mariés depuis 2007, et de la sœur d'un autre. Il semblerait que les deux familles étaient liées et que la volonté d'une des jeunes femmes d'épouser un non-hindou ait ravivé les tensions qu'avaient provoqué il y a trois ans le mariage "hors caste" de sa cousine. Pour leur malheur à tous les trois, ils se sont trouvés au cœur d'une vendetta familiale et assassinés de sang froid d'une balle dans la tête.  Ces meurtres intervenaient quelques jours seulement après celui d'un jeune couple dont la famille ne tolérait pas qu'il se fréquente et quelques semaines après celui d'une jeune journaliste. Nirupama, 23 ans, a été tuée par sa propre mère qui a ensuite maquillé son meurtre en suicide, parce qu'elle fréquentait un collègue d'une caste différente. Qu'une mère puisse tuer son enfant "pour l'honneur" cela dépasse pour moi l'entendement ! Il est néanmoins intéressant de noter qu'à la question du Times of India, "Est-ce un honneur de tuer pour l'honneur ?", 87 % des lecteurs ont répondu non. 13%, oui.      

lundi 21 juin 2010

Si ça fait pas d'bien, ça fait pas d'mal

En cette période où examens et concours sont le lot de nos jeunes, j'expliquais à mon chauffeur combien j'avais envie qu'ils réussissent. "No problem Sir, we got to go for pooja !"  me rétorqua alors Ravinder avec assurance. Ce que l'on peut traduire par "Ben, y'a qu'à aller faire des prières". Et nous voila partis tous les deux pour faire nos pooja au temple. D'abord, il faut choisir celui qui convient le mieux à la requête que vous voulez adresser au dieu, en  l'occurrence, le "Chilukuru Balaji Devastanu" qui assure "100 % guarantee, no failure and mandatory success" (on croirait une pub pour une école américaine). En route, Ravinder me demande si j'ai déjeuné, s'empressant d'ajouter, c'était veg au moins ? Là, je dois dire que je triche un peu, euh oui, Madam a juste fait une salade,  j'oublie de parler des fromages. Ça me rappelle les interdits de mon enfance chrétienne, ce que l'on pouvait ou ne pas manger avec de communier. Arrivés au temple, il faut se laver les pieds et  les mains, ensuite acheter ses offrandes, colliers de fleurs et noix de coco. Nous entrons dans le temple et restons d'abord en prière devant la statue de Vishnu que nous apercevons au loin. Petites pensées pour nos étudiants donc, pour les femmes de ma vie (Ppn, ma maman et Zuzu) et puis tant qu'on y est, pour la paix dans le monde. Et nous voila partis à marcher autour de la partie centrale du temple. Nous devons faire 11 tours quand le pèlerin normal en fait 109. Pourquoi ces nombres ?  J'imagine qu'il y a une signification mais Ravinder ne la connaît pas et je sens que je l'énerve un peu avec mes questions, donc tournons…. Comme 109, c'est plutôt difficile à compter dans sa tête, chaque pénitent a un petit carton avec autant de cases qu'il coche à chaque tour. Générations et classes sociales se mélangeant sans problèmes, on se bouscule, se pousse, se double, se marche sur les pieds, chacun tout à sa prière sans se préoccuper des autres, mais dans le calme et la ferveur. Très indien, quoi. De temps en temps un "Godiva" retentit, repris en chœur par tous les marcheurs. Après mes 11 tours, je reçois un point rouge sur le front - le tilak - et je vais casser ma noix de coco, ce que je fais en éclaboussant abondamment ma voisine. Puis, on pénètre dans le temple lui-même, prenant sa place dans une queue bien canalisée par des barrières, et on accède enfin à la statue de Vishnu recouverte de colliers de fleurs que l'on distingue à peine dans la pénombre. Deux prêtres sont là, l'un recueille les colliers de fleurs que vous apportez en offrande, l'autre vous verse dans la main  une cuillère d'eau (sainte ? bénite ?) que vous devez boire pour vous purifier de l'intérieur. A la sortie, on nous remet (en remerciement ?) quelques petits morceaux de sucre. Bien que je sois  allé au caté comme tous gamins des années 60, je n'ai jamais eu de croyance très profonde et comme tout ado des années 70, j'ai assez vite "décrété" que la religion était l'opium du peuple. Cependant j'ai toujours été intrigué – voire fasciné – par l'expression et l'intensité du visage de certains lorsqu'ils prient leur dieu, et cela quelque soit le dieu. Cette ferveur et cette piété sont très présentes dans ces temples où les rites qui nous sont assez incompréhensibles sont aussi ancestraux que ceux du monde chrétien et tout aussi respectables. Une chose cependant me frappe, c'est l'ouverture et la simplicité de la religion hindouiste. Il ne semble pas qu'une longue initiation soit nécessaire pour y participer et à aucun moment je ne me suis senti regardé de travers, j'étais là pour y faire mes pooja, comme les autres. Et cela me plaît bien …
Texte d'Éric AKA BrB, rewrité par Madam, euh ... Ppn

vendredi 18 juin 2010

Les hussards de la république

A notre arrivée à l'école publique de Maharajpet, le Directeur M. G. Kamal Singh,  s'est empressé de nous faire part des résultats obtenus par ses élèves aux examens de fin d'année. Le premier d'entre eux, avec un score de 515 sur 600, est arrivé en tête du classement des écoles du district. Alors que la rentrée s'était déroulée deux jours plus tôt (les grandes vacances en Andhra Pradesh sont de fin avril à mi-juin), nous nous sommes étonnés de voir autant de nouveaux élèves reconnaissables à ce qu'ils ne portent pas d'uniformes. M. Singh nous a alors expliqué que l'école privée du village ayant augmenté les frais d'inscription, de nombreux enfants qui l'avait rejointe ont refait le chemin inverse pour revenir à l'école d'état. Parallèlement, il avait reçu pour instruction de son ministre de tutelle de scolariser un maximum d'élèves des villages alentour. Avisant alors un ado dégingandé de treize ou quatorze ans, vêtu d'une chemisette usée et d'un pantalon à l'ourlet déchiré, il lui attrape le bras affectueusement et me le présente comme étant un "regular", un élève qui fréquente assidûment l'école, obtenant de bons résultats dans la plus haute classe, l'équivalent de notre troisième. Et M. Singh de m'expliquer qu'il avait dû enfourcher son cyclomoteur et parcourir avec les quatre kilomètres qui séparent l'école du village du garçon, pour parlementer avec ses parents afin qu'ils le laissent poursuivre ses études. En effet, si les parents ne renâclent pas trop à envoyer leurs enfants en bas âge à l'école, laquelle fait souvent office de garderie et leur garantit un repas quotidien, pour les plus grands, c'est une lutte perpétuelle. Scolarisés, ils représentent autant de bras en moins pour aider dans les champs ou garder les chèvres et les buffles. M. Singh fait un travail remarquable dans cette école ; il n'a en principe que la responsabilité des grandes classes, celles du collège mais en fait, il s'occupe aussi de la maternelle et du primaire car comme il  le dit lui-même, il investit sur l'avenir. Parmi les enseignants, certains sont payés par le gouvernement, d'autres par des particuliers comme nos amis Isabelle et Venkat ou Vincent. L'un d'entre eux a réussi ses examens et une  fois titularisé, a choisi de revenir enseigner l'anglais dans cette école. Je lui ai demandé s'il était content de ce retour et sa réponse a été un cri du cœur : "Je suis le plus heureux des hommes !" Une déclaration qui n'est pas sans rappeler le sacerdoce des premiers maîtres d'école d'une autre république...

samedi 12 juin 2010

Allô maman bobo

Je me réveille il y a quelques jours, n'entendant plus rien de mon oreille gauche. La perte d'un sens est toujours inquiétante surtout dans ce pays où celui qui est bon est souvent mis à mal. Donc nous voila partis, avec Ppn, ce samedi vers 13 h 30 à l'Apollo Clinic, qui soigne  entre autres, les maux de la communauté expat' du quartier et bien sûr ceux des autochtones. Le réceptionniste désolé nous dit que ce n'est pas le jour de l'ORL, mais que nous pouvons consulter un "regular doctor" pour peu que nous patientions, ledit docteur  étant sorti, mais devant revenir dans dix minutes. Nous nous asseyons donc dans une salle d'attente du genre de celles de la sécu dans les années 70, en se préparant à une attente d'une durée indéterminée. Eh bien non, après dix minutes, on nous introduit dans le cabinet d'un jeune toubib,  charmant de sa personne (désolé Ppn, c'est moi le malade). Une auscultation impeccable, des questions pertinentes et un diagnostic rassurant : ce n'est qu'un rhume et un canal bouché. Il me fait une ordonnance, après m'avoir expliqué qu'il m'a prescrit des inhalations (ah les bons vieux remèdes de nos grands-mères, voire de nos mères !). La consultation me coûte 300 roupies (même pas 5 euros). Nous passons à la pharmacie à l'étage en dessous prendre les médicaments. Là, le pharmacien, pour chacun des médicaments prescrits, me montre la boîte et en sort le nombre exact de pilules correspondant au traitement. Il va même jusqu'à découper avec des petits ciseaux les plaquettes. Pratique plutôt saine en fin de compte qui aiderait sûrement à combler le trou de la sécu (pourtant, en termes de trous, quand on voit l'état des routes ici, ils s'y connaissent). Et l'on paye, pour ce que l'on a, soit en l'occurrence 220 roupies (3 euros). A 14 h 15, nous voilà sortis et mon oreille reprend ses fonctions deux jours après. Au bilan : malgré une arrivée impromptue un samedi à 13 h 30, on sort soigné trois quarts d'heure après pour moins de 8 euros. Je pense qu'il y a de bonnes choses à prendre dans ces pays "en voie de développement". Et le pire, c'est que j'aurais pu me faire rembourser intégralement par la mutuelle de la boîte indienne pour laquelle je travaille…
PS : merci à Ppn de m'avoir laissé la main pour faire mon post !

vendredi 11 juin 2010

Dent pour dent

Avec l'arrogance qui caractérise les gens des pays occidentaux, nous nous imaginons que nous avons ce qu'il existe de mieux en matière de santé, et développons une méfiance instinctive à l'égard de ce qui se fait ailleurs. Avant de partir en Inde, je suis allée consulter mon médecin traitant, une baroudeuse de choc, qui ne m'a rien prescrit à emporter car selon elle je trouverais tout sur place, et vu la durée de notre séjour, nous nous immuniserions nous-mêmes le cas échéant. C'était frappé au coin du bon sens. A notre arrivée en Inde, force nous fut de constater que non seulement, on est aussi bien soigné que chez nous mais qu'en fait, on l'est souvent mieux et plus vite. Il m'est impossible de parler ici de protection sociale, et là n'est pas mon sujet. Je ne prétends parler que de ce que j'ai vécu. Premier exemple, devant rentrer en France en janvier pour une question de visa, je demandais à mon père un mois à l'avance de prendre un rendez-vous auprès de sa dentiste pour un détartrage. Manque de chance pour moi, en une semaine, elle me posa deux lapins ! Quand, dès mon retour, je me  suis finalement décidée à prendre un rendez-vous ici, mes copines m'ont prévenue : arrange-toi pour être libre l'après-midi car si tu appelles le matin, tu seras invitée à passer le jour-même. Et de fait, j'ai eu un rendez-vous immédiatement. Aucune différence notable dans ce premier contact, si ce n'est que j'ai dû me déchausser avant de rentrer dans le cabinet du praticien. Pour le reste, les soins étaient les mêmes, et l'homme de l'art, compétent et professionnel, m'en commenta les différentes étapes dans un anglais parfait. Chirurgien diplômé en cosmétique dentaire, il est agréé par plusieurs facultés étrangères et ses clients viennent parfois des Émirats se faire soigner pour pas cher. La séance m'a coûté 1200 Roupies (20 euros) que je ne me suis même pas fait rembourser. Je lui ai demandé par curiosité un devis pour un blanchiment des dents selon un procédé dont il a l'exclusivité (j'ai toujours rêvé d'avoir le sourire de Julia Roberts) ; à peine rentrée chez moi que sa secrétaire me l'avait envoyé par mail, et rappelé pour s'assurer que je l'avais bien reçu. Le dilemme, maintenant c'est qu'il va falloir choisir entre ça et un collier de perles (la spécialité d'Hyderabad). Je me tâte. Prochain billet : Éric va chez le médecin.