mercredi 31 mars 2010

Les frères ennemis

Si les échos lointains de ce qui s'est passé ces jours derniers à Hyderabad, capitale de l'Andhra Pradesh au Sud de l'Inde, sont parvenus jusqu'en France, bien peu ont dû y prêter attention. Un mort*, quatre-vingt blessés et un couvre-feu décrété par un gouvernement vite dépassé, ne sont que des mots dans le flot d'autres catastrophes que déversent les chaînes de télé quotidiennement. Même ici, en Inde, ces incidents n'ont pas fait longtemps les gros titres des télévisions nationales. Il faut dire que l'actualité a été riche cette semaine entre les attentats de Moscou, un incendie meurtrier à Calcutta qui a fait 42 morts, et la prise d'otages de 120 indiens le long des côtes somaliennes. Quant aux chaînes locales, elles ne bruissaient que de l'annonce faite par la championne de tennis Indienne Sania Mirza, originaire d'Hyderabad, de son prochain mariage avec l'ex capitaine de l'équipe de cricket du Pakistan, bel exemple de tolérance. Ce conte de fées des temps modernes permettra-t-il de faire oublier les tensions latentes qui règnent entre ces deux frères ennemis, les Hindous et les Musulmans, et qui éclatent sporadiquement avec une violence inouië à un endroit ou à un autre du pays ? A Hyderabad, on ne peut pas dire qu'on ressente ces problèmes au quotidien. Pour nous, les expats, ça s'arrête à quelques réticences de nos chauffeurs hindous à se rendre dans la vieille ville à majorité musulmane (quand nous nous y rendons, le nôtre refuse, par exemple, de déjeuner sur place) mais ça s'arrête là. D'ailleurs, cela faisait 20 ans que la ville, qui compte 40% de Musulmans (14% en Inde), n'avait pas connu de violences intercommunautaires. En 1990, elles avaient fait 200 morts, et apparaissent en toile de fond du très beau livre que je vous recommande, "Jour de pluie à Madras". A chaque fois, le point de départ est un prétexte anodin. Cette semaine, c'est la fête de Hanuman Jayanti et les Hindous ont voulu hisser leur bannière safran à la place du drapeau vert que les Musulmans avaient "oublié" d'enlever lors de la commémoration de la naissance de Mahomet, un mois plus tôt. Le ton a monté, une bousculade s'en est suivie, prélude à un déchaînement de violence des deux côtés. Bilan de trois jours d'affrontement : un jeune musulman poignardé à mort, des dizaines de blessés, la plupart à coups de pierre, des magasins incendiés, des temples et des mosquées ravagées, et un couvre-feu indéfini. Depuis, comme disent les médias, le calme semble revenu et la jeune championne hyderabadie de tennis a pu donner hier sa conférence de presse. Elle se marie dans un mois ... à Lahore, au Pakistan**.
* Deux en fait : mardi soir un commerçant qui se trouvait, comme on dit, au mauvais endroit au mauvais moment a succombé à ses blessures dues à des jets de pierre.
** Précision de dernière minute, ils vont se marier d'abord à Hyderabad, puis à Lahore.


lundi 22 mars 2010

Il n'est pas de sots métiers

En Inde, on ne jette pas grand chose et on récupère tout, ou presque. Pour nous cependant, la vie est tellement peu chère que la tentation est grande de remplacer ce qui est cassé. Seulement voilà, à notre arrivée en novembre, j'ai fait l'achat d'une paire de sandales à 550 roupies (9 euros) que j'aime bien, et quand la lanière de l'une d'elles a cédé, j'ai décidé de lui donner une autre chance. Je suis donc allée chez le cordonnier. Si l'expression avoir pignon sur rue a un sens, c'est bien ici. En effet, l'homme de l'art est assis à même le trottoir au coin de ma rue. Deux bouts de bois soutenant une bâche bleue au-dessus de la tête, son attirail par terre, il attend le chaland. Souvent, un comparse lui tient compagnie et ensemble, ils boivent le tchai, partagent des samosas achetés au marchand ambulant, et papotent. Je me suis accroupie, j'ai suivi l'opération, une pointe de colle, deux coups de poinçon, et ma chaussure a repris vie. La réparation m'a coûté 10 roupies (16 centimes). J'aurais bien voulu lui donner plus mais mon chauffeur-ange gardien veillait au grain. L'économie indienne repose ainsi sur une multitude de petits métiers qui tous ont leur utilité. Ainsi, si l'on considère le nombre incroyable de chiens errants dans les villes, on s'étonne du peu de crottes sur les trottoirs. C'est parce que, pliées en deux sur leurs balayettes, une armée de femmes, souvent plus toutes jeunes, passent leur journée à nettoyer la chaussée, les devants des maisons et même les pelouses. Parfois, leurs gestes cent fois répétés me font penser au rocher de Sisyphe, puisqu'à peine ont-elles fini de nettoyer leur bout de terrain qu'elles doivent recommencer. Dans l'hôtel où nous avons passé nos trois premières semaines, je voyais tous les jours le même employé retirer des galets, balayer dessous pour enlever la poussière, et les remettre ensuite. Plus récemment, au Marriott à Goa, nous prenions notre petit-déjeuner en terrasse, lorsque le manège d'un jeune homme agitant une sorte de mat de 5 mètres de long au bout duquel flottait un drapeau blanc nous intrigua. Nous avons fini par comprendre ce qu'il faisait : il éloignait les corbeaux ! La société indienne est très hiérarchisée et tout en bas de la pyramide, ces petits métiers qui nous semblent parfois dérisoires ont leur utilité sociale. Ce jeune porte-drapeau-effrayeur-de-corbeaux arbore fièrement son badge indiquant qu'il travaille dans l'un des fleurons de l'hôtellerie mondiale, et il sait que s'il fait bien son travail, bientôt il sera affecté au ménage ou à la plonge. Car ici, peu importe que l'on exerce un métier peu qualifié, l'essentiel est d'en avoir un pour subvenir à ses propres besoins et la plupart du temps, à ceux d'une nombreuse famille...

vendredi 19 mars 2010

Certains priaient Jésus

Lorsque vous remplissez votre demande de permis de résider en Inde, vous devez indiquer votre religion, et il est tout à fait inconcevable de ne pas répondre ou pire, d'annoncer que vous êtes athée. En Inde, on croit en Vishnu, en Allah ou en Dieu, et se rendre au temple, à la mosquée ou à l'église fait partie intégrante de la vie quotidienne. Et essayez d'imaginer une seconde ce que serait l'Inde sans les merveilleux temples dravidiens multicolores du Tamil Nadu, le Temple d'or d'Amritsar, centre spirituel de la religion sikh, ou les jolies églises blanches de Goa et Pondichéry, pour ne citer qu'eux. Rien qu'à Hyderabad, ville œcuménique s'il en est, tandis que nous grimpons pieds nus les marches du délicieux Birla Mandir, tout de marbre blanc, notre regard se pose sur le Lac Hussain Sagar au milieu duquel trône un gigantesque Bouddha. Plus loin, dans la vieille ville musulmane, la Mecca Masjid est l'une des plus imposantes mosquées du monde et, en cherchant bien, St Andrew's rappelle que les Britanniques ont apporté aussi le culte anglican dans leurs bagages. Oui, le sacré est partout en Inde. A Goa, un minuscule territoire se donne des airs de mini Vatican. Velha Goa (ou Old Goa de nos jours), l'ancienne capitale portugaise jusqu'au milieu du 18è, rivalisait avec Porto par la richesse de ses églises. Il en reste une quinzaine aujourd'hui dont la Cathédrale Ste Catherine, dont on dit qu'elle est la plus grande de toute l'Asie. Qui dit religion dit missionnaires. St François-Xavier était de ceux-là. Curieux destin que celui de ce jeune homme de bonne famille Navarraise*, disciple de Ignace de Loyola avec lequel il fonda la Compagnie de Jésus avant de partir convertir l'Inde, le Japon puis la Chine. Mort à 46 ans sur le bateau qui le ramenait de Malacca, son corps repose à la Basilique du Bom Jesus à Old Goa et fait l'objet d'un véritable culte. Sa châsse fut ouverte plusieurs fois, les Jésuites de Rome réclamant un bout de ses reliques, puis les Chinois. Finalement, quelqu'un de sage décida qu'il fallait arrêter de saucissonner le Saint et depuis il repose sur ce petit bout de terre Indienne. Requiem in pace.
* Message personnel à mon papa : on dit qu'il prononça ses derniers mots dans sa langue maternelle, le basque...

mercredi 10 mars 2010

La femme est l'avenir de l'Inde (II)

Le vote aurait dû avoir lieu symboliquement le 8 mars, journée de la femme. Une poignée de députés rétrogrades en a décidé autrement. Peu importe. La Rajya Sabha, la chambre haute du Parlement indien, a voté hier soir à une écrasante majorité une loi accordant 33% des sièges aux femmes dans l'hémicycle. La plupart des journaux qualifient ce matin le vote d'historique. Dès que la Lok Sabha, la chambre basse aura amendé le texte, la Constitution sera modifiée pour qu'un tiers des représentants des différentes assemblées indiennes soient désormais des femmes. En effet, alors que la moitié des Indiens sont des Indiennes, seules 10 % d'entre elles occupent aujourd'hui des postes électifs en politique. Un ratio qui n'est pas sans rappeler celui d'autres démocraties, à commencer par la nôtre. D'ailleurs, en regardant les images prises dans l'hémicycle lundi soir, alors que des députés survoltés agressaient le président de séance et déchiraient rageusement leurs bulletins de vote, je n'ai pu m'empêcher de penser aux débats houleux qui avaient précédé le vote de la loi sur l'avortement en 1975. Qui n'a pas en mémoire cette photo de Simone Veil effondrée sur son siège après avoir dû faire face à la vindicte de ses collègues députés les plus virulents ? La marche des femmes pour leur représentation est une succession de victoires gagnées ainsi, grâce à leur opiniâtreté et aussi à l'appui d'hommes de bonne volonté. En Inde, l'image des femmes en politique est très forte. L'actuelle présidente du parti majoritaire, le BJP (qui sort gagnant de ce nouveau bras de fer), a mis toutes ces forces dans cette bataille. Sonia Gandhi est la veuve de Rajiv Gandhi et donc la belle-fille d'une certaine ... Indira Gandhi, première femme premier ministre de l'Inde dès 1966. Le Times of India ce matin, se montrait dithyrambique et recensait les "pionnières", depuis les 5 premières étudiantes de l'Université de Pune en 1916, en passant par Mère Teresa (prix Nobel de la Paix en 1979) jusqu'à l'actuelle Présidente de la République Indienne, Pratibha Patil, élue en 2007. Même si son rôle s'apparente à celui de nos présidents de la IVè république, il n'empêche, elles ne sont pas si nombreuses à occuper le poste dans le monde. Alors, Messieurs les Députés français, la parité, toujours un vœu pieux ?
La photo a été "empruntée" à l'article d'Aujourd'hui l'Inde dont je vous recommande la lecture.

dimanche 7 mars 2010

Pondichéry, un parfum de France

L'histoire de Pondichéry est intimement liée à celle de la France depuis qu'en 1673, la balbutiante Compagnie des Indes Orientales racheta ce petit village côtier sur la côte de Coromandel au Sultan de Bijapur. Disputée d'abord aux Hollandais, puis aux Anglais, devenue comptoir français en 1765, les Français s'y installeront peu ou prou pendant le 18è siècle, l'occuperont au 19è siècle, pour la céder définitivement à la toute jeune république indienne en 1954. Elle est encore aujourd'hui la porte d'entrée préférée des français qui visitent l'Inde du Sud, si Indienne et si Française à la fois. Le Consulat de France, l'Alliance française, le Lycée Français (97% de réussite au Bac 2009), ainsi que le nom des rues (Rue Romain Rolland, Rue Mahé de la Bourdonnais, rue de la Marine...) et les képis rouges des policiers en faction devant les bâtiments administratifs nous rappellent cette présence de près de trois siècles. Sa taille aussi, 220 000 habitants seulement alors que sa voisine Chennai (ex Madras) en compte plus de 4,5 millions, lui donne des allures de préfecture hexagonale pendant les trente glorieuses. C'est une ville qui se visite à pied, souvent en commençant par la promenade de la plage qui longe sur 3 kilomètres le Golfe du Bengale. La nuit tombe tôt dans cette partie du monde et c'est lorsque le soleil rose darde ses rayons au couchant que l'on se sent enveloppé par la magie du lieu. La statue géante dorée de Gandhi nous toise, nimbée d'une lumière diaphane, tandis que presque en face, celle de Jeanne d'Arc lui tourne le dos. Le long de la promenade, des enfants agitent leur sacs roses remplis de barbe à papa et les silhouettes des amoureux enlacés se détachent sur fond d'une mer qu'on sent plus qu'on ne la voit. Il est temps pour nous d'aller dîner au Club où les serveurs font l'effort de prendre votre commande dans un français hésitant mais sincère et où l'on peut se régaler à la fois de calamars farcis délicieusement relevés ou d'un bon steak au poivre. Toujours à pied, nous regagnons l'Hôtel de l'Orient, une superbe demeure 18è du quartier français de Pondy à la façade rose, et où les noms des chambres sont autant d'appel à d'autres voyages : Maduram, Dindee, Vellore, Coimbatore...