
En Inde, on ne jette pas grand chose et on récupère tout, ou presque. Pour nous cependant, la vie est tellement peu chère que la tentation est grande de remplacer ce qui est cassé. Seulement voilà, à notre arrivée en novembre, j'ai fait l'achat d'une paire de sandales à 550 roupies (9 euros) que j'aime bien, et quand la lanière de l'une d'elles a cédé, j'ai décidé de lui donner une autre chance. Je suis donc allée chez le cordonnier. Si l'expression avoir pignon sur rue a un sens, c'est bien ici. En effet, l'homme de l'art est assis à même le trottoir au coin de ma rue. Deux bouts de bois soutenant une bâche bleue au-dessus de la tête, son attirail par terre, il attend le chaland. Souvent, un comparse lui tient compagnie et ensemble, ils boivent le
tchai, partagent des
samosas achetés au marchand ambulant, et papotent. Je me suis accroupie, j'ai suivi l'opération, une pointe de colle, deux coups de poinçon, et ma chaussure a repris vie. La réparation m'a coûté 10 roupies (16 centimes). J'aurais bien voulu lui donner plus mais mon chauffeur-ange gardien veillait au grain. L'économie indienne repose ainsi sur une multitude de petits métiers qui tous ont leur utilité. Ainsi, si l'on considère le nombre incroyable de chiens errants dans les villes, on s'étonne du peu de crottes sur les trottoirs. C'est parce que, pliées en deux sur leurs balayettes, une armée de femmes, souvent plus toutes jeunes, passent leur journée à nettoyer la chaussée, les devants des maisons et même les pelouses. Parfois, leurs gestes cent fois répétés me font penser au rocher de Sisyphe, puisqu'à peine ont-elles fini de nettoyer leur bout de terrain qu'elles doivent recommencer. Dans l'hôtel où nous avons passé nos trois premières semaines, je voyais tous les jours le même employé retirer des galets, balayer dessous pour enlever la poussière, et les remettre ensuite. Plus récemment, au Marriott à Goa, nous prenions notre petit-déjeuner en terrasse, lorsque le manège d'un jeune homme agitant une sorte de mat de 5 mètres de long au bout duquel flottait un drapeau blanc nous intrigua. Nous avons fini par comprendre ce qu'il faisait : il éloignait les corbeaux ! La société indienne est très hiérarchisée et tout en bas de la pyramide, ces petits métiers qui nous semblent parfois dérisoires ont leur utilité sociale. Ce jeune porte-drapeau-effrayeur-de-corbeaux arbore fièrement son badge indiquant qu'il travaille dans l'un des fleurons de l'hôtellerie mondiale, et il sait que s'il fait bien son travail, bientôt il sera affecté au ménage ou à la plonge. Car ici, peu importe que l'on exerce un métier peu qualifié, l'essentiel est d'en avoir un pour subvenir à ses propres besoins et la plupart du temps, à ceux d'une nombreuse famille...