En débarquant en Inde, parmi les fantasmes que je nourrissais à l'égard de ce pays, je rêvais de rencontrer ... un maharajah. Un vrai, en chair en os, peut-être enturbanné, portant le sherwani avec élégance, et des pierres précieuses à chaque doigt. Et bien, c'est fait ! Hier, nous avons pris notre breakfast à la table d'à côté du maharajah de M.* Pour planter le décor, nous étions ce week-end à Ooty. Udhagamandalam, ou Ootacamund, ou Ooty (prononcer : outi) pour les intimes, est un peu à l'Inde du Sud ce que sont Simla ou Mussoorie à l'Inde du Nord : un havre de fraîcheur pendant les grosses chaleurs. A l'époque du Raj Britannique, ces messieurs de Bombay y avaient leurs résidences secondaires, leurs parcs, leur clubs et leurs hippodromes. De nos jours, c'est une station climatique de montagne (2200 m d'altitude) qui reçoit les familles aisées de Mumbai d'avril à mai. Un de nos amis nous avait parlé d'une très belle demeure du 19è transformée en hôtel, et nous avions décidé d'y séjourner. Ce que nous ignorions c'est qu'elle est toujours la résidence d'été d'un authentique maharajah et qu'à peine étions-nous en train de regarder attentivement les photos anciennes recouvrant les murs que nous apprenions que ledit maharajah était attendu pour le week-end. Mon cœur de midinette nourri à Points de Vue et Gala en tressaillit aussitôt. Au dîner, je lorgnais discrètement les tables voisines menant mon enquête telle Miss Marple. Je crus toucher au but quand un monsieur très distingué se mit à nous commenter les fresques de la salle à manger dans un anglais très oxfordien. Lundi matin, l'empereur, sa femme et le petit prince, non je m'égare ... lundi matin donc, alors que je trempais mes toasts dans le thé (oui, je sais, ça ne se fait pas), je vis entrer un être androgyne, dont la chemise négligemment ouverte laissait apercevoir un sein flasque. Puis se rapprochant, je me demandais si j'avais en face de moi la femme à barbe. For God's Sake ! L'homme (puisque de près c'en était un) portait des cheveux longs filasses, un pashmina jeté sur ses épaules, des pieds nus dans ses Todd's et des lunettes sur le front à la manière de Bernard Pivot. Il fit changer pour un fauteuil Voltaire le siège sur lequel son auguste postérieur s'apprêtait à se poser, apostrophant la valetaille avec rudesse, puis fit mander le manager de l'hôtel qui se prosterna ou presque devant lui. Je m'attendais à un homme raffiné, esthète et mécène après avoir lu le panégyrique de Sa Seigneurie sur la documentation de l'hôtel, et j'avais devant moi un gros lourdaud, imbu de sa personne et tristement seul. Voilà comment prennent fin les rêves...
* Eu égard à ce qui suit, le lecteur comprendra que je préfère lui garder l'anonymat.
* Eu égard à ce qui suit, le lecteur comprendra que je préfère lui garder l'anonymat.