mercredi 29 septembre 2010

Partir c'est mourir un peu

A quelques heures de m'éloigner de l'Inde, valise bouclée, sac de voyage vérifié à maintes reprises, je réfléchis à ce dernier billet. Le 56è depuis que je suis arrivée ici. L'occasion de vous remercier, lecteurs fidèles ou de passage, de m'avoir suivie dans ce voyage et de m'avoir  souvent encouragée par vos commentaires. L'occasion de remercier aussi mon compagnon de route et de vie, Éric, mon premier lecteur, dont les critiques souvent fondées me permettent d'être encore plus exigeante. Outre sa participation à ce blog à travers deux ou trois billets, je lui dois les belles photos qui ont souvent illustré ces lignes. Je ne vais pas tourner définitivement la page de L'Effet Indien, j'ai encore quelques sujets en réserve mais je ne posterai plus d'ici, de cet endroit du monde qui ne m'attirait pas, pour lequel j'avais tant de réserves et qui en moins d'un an m'a tant donné. Ces dix mois ont été riches en découvertes, ces "pérégrinations" que j'ai essayé de vous faire partager, et c'est donc à un dernier voyage que je vous invite. Bénarès, comme on disait dans les années post-soixante huitardes, Vârânâsi, comme elle s'appelle maintenant, reste LA ville dont on ne revient pas intact. Même les plus blasés des routards de l'Inde ne peuvent rester indifférents à la magie de cette ville mystique, paradoxale, extrême. Ames sensibles s'abstenir. Voir le lever du soleil sur les ghats à 5 heures du matin restera un moment fort de mon année indienne. Les couleurs, du Gange, de la pierre rose, des saris des femmes, la ferveur des pèlerins qui viennent se purifier de leurs péchés dans le fleuve sacré, voilà pour le côté pile. Et côté face, la saleté des rues, les odeurs qui vous étreignent et vous font suffoquer, ces enfants qui mendient ou jouent les rabatteurs pour vous faire entrer dans une échoppe attrape-touristes... Et surtout les crémations.  Plus de 300 par jour. Car on vient mourir à Bénarès, pour renaître du ventre de la Mère Ganga, pour échapper au cycle inéluctable de la réincarnation, pour atteindre le Nirvana. Seuls les hommes saints, les femmes enceintes, les enfants de moins de 12 ans, les lépreux et les animaux échappent au bûcher. Alors quand au coucher du soleil, depuis la terrasse de notre guesthouse surplombant le Gange on aperçoit un cadavre flotter, on se dit que décidément, l'Inde n'en a pas fini de nous surprendre ... 

lundi 20 septembre 2010

Cadre de vie

Alors que notre séjour Indien tire à sa fin, je m'aperçois que je n'ai pas évoqué notre cadre de vie, pourtant indispensable à la réussite de toute expérience d'expatriation. Après trois semaines passées dans un très bel hôtel très classe et très zen, puis trois mois dans un appart-hôtel, disons plus conforme aux standards indiens, nous avons élu domicile à Jayabheri Silicon County. Déjà le nom intrigue surtout si je vous dis qu'il est situé sur Hitec City Road. Hyderabad s'enorgueillit en effet d'attirer les grosses sociétés de l'informatique mondiale, les Dell, Microsoft, Google, etc., et certains journalistes l'ont même affublée du surnom de Cyberabad. Les  constructeurs immobiliers adorent donc les dénominations évocatrices comme Mindspace, Cyber City ou ... Silicon County.  Notre compound qui est constitué de trois blocs -  Alpha, Beta et Gamma - de huit étages chacun, est fréquenté par des Indiens à haut pouvoir d'achat, des NRI* et quelques rares expats (en ce moment, une famille de Britanniques, des Japonais et nous). Comme la plupart de ces résidences, l'entrée en est gardée par un aréopage de képis et on doit montrer patte blanche pour y pénétrer (un jour où j'étais sortie, ils n'ont pas voulu laisser rentrer ma nouvelle maid, bien inoffensive pourtant dans son sari...). Le Club Jayabheri, ouvert aux non-résidents moyennant une coquette cotisation, se compose d'une superbe piscine, de courts de squash et de badminton, et d'une salle de sports. A Jayabheri Silicon County, on peut aussi faire ses courses en dépannage grâce à une petite épicerie, commander ses repas dans le restaurant, organiser d'énormes parties sous un chapiteau, et même faire tailler chemises et costumes sur mesure. Mon petit plaisir reste d'aller chaque semaine à la laundry où pour 10 roupies pièce (15 centimes !), je fais laver et repasser les pantalons et les chemises d'Éric.  Le blanchisseur utilise un fer à repasser antédiluvien au charbon qui vaut tous les pressings du monde. Un seul hic, les boutons en nacre ne résistent pas à ce traitement. Mais bon, à ce prix là, ce serait indécent de se plaindre ...
*NRI : New Resident Indians,  Indiens d'origine qui ont vécu ou étudié de nombreuses années aux USA, Canada, Australie ou UK et qui décident de revenir vivre et travailler au pays.     

jeudi 16 septembre 2010

Lire l'Inde

Avant de venir en Inde, mes seules lectures à propos de ce pays  s'étaient limitées à "Cette nuit la liberté" de Lapierre et Collins ou "La cité de la joie" du même Dominique Lapierre. J'en avais retiré une vision d'une Inde mystique, miséreuse et violente.  Je dois à mon amie Bérangère de m'avoir ouvert de nouveaux horizons. A mon tour de vous faire partager mes coups de cœur.  Le Lapierre et Collins reste une référence pour comprendre l'Inde ou plutôt les Indes du temps du Raj, l'Empire Britannique, et de ses excentriques maharajahs mais surtout  il raconte l'épopée de l'indépendance et  la douloureuse partition avec le Pakistan. L'une des plus belles histoires que j'ai lues est "Ma sœur, mon amour" de C. Banerjee Divakurani ou le destin croisé de deux cousines élevées comme des sœurs à Calcutta, avec le poids des traditions en toile de fond. "L'équilibre du monde" de R. Mistry est aussi une histoire de personnages qui se croisent et partagent pendant un très court moment un peu de bonheur. Pour le reste, c'est un livre désespéré mais magnifique. "L'émeute" de Shashi Taroor part d'un fait divers et débouche sur une description des problèmes inter-communautaires qui marquent la société indienne. Malgré son nom, "Jour de pluie à Madras" se passe essentiellement dans la vieille ville d'Hyderabad et il y est encore question de mariage arrangé, de tolérance, et de heurts entre Hindous et Musulmans mais cette fois, du point de vue de ces derniers. Amitav Ghosh est un grand écrivain Bengali très prolixe dont la lecture des romans ne déçoit jamais. J'ai un faible pour "Le pays des marées", une histoire originale qui a pour cadre les Sundarbans, une nature sauvage à l'embouchure du Gange et du Bramapoutre où vont se croiser trois personnages qui vont vivre une belle histoire d'amour. "Le Tigre blanc" est un livre récent, cynique et édifiant sur la société moderne indienne. A déconseiller à ceux qui ont un chauffeur ...  "Meurtre dans un jardin indien" est l'adaptation française de "Six suspects" que je lis en ce moment. Un suspense haletant, des personnages truculents, une plongée dans la corruption des élites, grinçant et drôle. Un régal. Enfin pour les amateurs de BD, à signaler la série "India Dreams" dont on m'a dit le plus grand bien. Et pour terminer, en vrac : "L'Inde où j'ai vécu" d'Alexandra David-Néel, "Chaleur et poussière" de Ruth Prawer Jhabvala, "La Splendeur du silence" de Indu Sundaresan, "Le Dieu des Petis riens" d'Arundhati Roy et "Les Versets sataniques" de Salman Rushdie (acheté mais pas encore lu). Et vous, vos "must read" sur l'Inde ?

lundi 13 septembre 2010

Eat, pray, love

Dans quel autre pays que l'Inde peut-on rencontrer quatre communautés qui  célèbrent au même moment une fête religieuse différente et d'égale importance ? Par le hasard des calendriers solaire et lunaire, ce week-end, les Musulmans fêtaient l'Eid* et rompaient leur jeûne entamé un mois plus tôt avec le début de Ramzam*, tandis que les Hindous s'apprêtaient à lancer les festivités de Ganpati, en l'honneur du Dieu Ganesh. De leur côté, à Mumbai (Bombay) où nous nous trouvions, les Jains convergeaient vers leurs derasars pour le dernier jour de Paryushan tandis que les Chrétiens du quartier de Bandra célébraient le Dimanche de la Nativité. Dans un pays où les tensions intercommunautaires peuvent parfois donner lieu à des affrontements et à des violences, pendant ces deux jours, nous nous sommes promenés dans des avenues vidées de la circulation habituellement folle de Mumbai, croisant des groupes de pèlerins de toute confession se rendant en procession d'un coin à l'autre de la ville.  Alors que la mousson n'est pas terminée, nous avons été bénis des Dieux  (3 millions, pour une fois le pluriel a un sens) profitant d'un temps magnifique pour arpenter les rues, les bazars et la  promenade qui borde l'Océan Indien. De temps en temps,  nous tombions sur un petit temple éphémère - un mandal - érigé pour la circonstance au pied d'immeubles, de bureaux ou dans un marché, par les habitants, collègues ou membres d'une corporation. En soulevant un rideau, nous  nous retrouvions face à un autel dédié au dieu-éléphant auquel hommes, femmes et enfants venaient offrir poojas et friandises. Évidemment, chaque mandal rivalisait de couleurs, décorations, illuminations et offrandes avec son voisin. Comme souvent en Inde, nous avons été frappés par la gentillesse des gens qui nous invitaient à nous joindre à eux tels ces pompiers si fiers de nous présenter leur Ganesh et de poser devant. Dimanche prochain, les festivités de Ganesh Chaturti se concluront par l'immersion d'innombrables représentations du dieu-éléphant dans la mer mais nous nous serons alors à Hyderabad, sur les rives du Lac Hussain Sagar. 
* L'Aid et le Ramadan se disent "Eid" et "Ramzam" en Inde.    

lundi 6 septembre 2010

Ce que femme veut

Cette jeune mère sereine qui pose sur le pas de sa porte se prénomme Tirumala. Elle semble frêle et intimidée mais ne nous y fions pas. C'est une jeune femme certes - elle n'a que 23 ans - mais elle sait ce qu'elle veut et comment l'obtenir. Tirumala est la jeune  épouse de notre chauffeur Ravinder qui, samedi, lui a demandé de cuisiner pour nous et de nous recevoir dans leur humble demeure. Deux pièces, une chambre où le lit occupe toute la place et où parents et enfants dorment ensemble, et une cuisine dans laquelle on met une paillasse pour la belle-mère quand elle vient du village aider sa fille. Et elle vient souvent cette "Auntie*" comme l'appelle Ravinder  car Tirumala est sa fille unique et ce que veut Tirumala, ces parents le lui donnent... A commencer par un mari. Ravinder m'a raconté l'histoire de son mariage. Loin de son village, il s'était choisi une fiancée en Andhra, alors que sa famille est du Telangana. Il était tellement amoureux qu'il avait réussi à convaincre ses parents malgré leurs cris et leurs larmes face à cette "mésalliance". Quinze jours avant le mariage, il est revenu au village apporter les cartons d'invitation à ses connaissances. C'est ainsi que l'on fait en Inde, on se déplace pour inviter proches ou moins proches, le nombre de convives étant un signe extérieur de richesse. Quand il est entré chez Tirumala et ses parents (le beau-frère du frère de son père), la belle n'a eu d'yeux que pour ce beau parti. C'est que Ravinder, plutôt joli garçon, vit dans la capitale, Hyderabad, et a une belle situation, chauffeur de maître pour des "blancs", avec sa propre voiture. Tirumala la petite fille gâtée par ses parents, a tempêté, pleuré, menacé de se suicider, l'a harcelé au téléphone, et a obtenu ce qu'elle voulait. Sa famille et celle de Ravinder ont contraint celui-ci à rompre ses fiançailles avec l'élue de son cœur. L'affaire a été rondement menée et, à quelques jours près, la cérémonie a bien eu lieu comme prévu mais avec une autre promise. Lorsque j'ai demandé à Ravinder si il était heureux trois ans après, dans le rétroviseur, j'ai vu son regard s'embuer quand il m'a répondu : "Elle m'a donné deux beaux fils"...
* Les Indiens appellent leurs aînés Auntie (tante) et Uncle en signe de respect.         

mercredi 1 septembre 2010

Ah je ris de me voir si belle !

Ça y est, le compte à rebours a commencé. Dans moins d'un mois, nous aurons quitté l'Inde, mon carrosse se transformera en citrouille et c'en sera fini de ma vie de princesse ! Je m'aperçois que je n'ai pas parlé de ce qui en a constitué une grande part : mes visites au Beauty Parlour (à prononcer : biouti parlor). Contrairement à chez nous où coiffeurs et esthéticiennes font salon à part, ici tout est regroupé dans un même lieu où l'on s'occupe de vous "from top to toe". Autre différence notable, alors que ces métiers sont essentiellement féminins en France (à l'exception de quelques ténors du ciseau), en Inde, ce sont les hommes qui comme toujours trustent les emplois qualifiés. Les quelques femmes sont souvent reléguées au balayage des mèches coupées ou à la préparation du tchai offert aux clientes. La première fois que je me suis fait masser le cuir chevelu par un grand costaud tout de noir vêtu,  poignet de force (et force au poignet !) compris, ça m'a secouée ! Après on s'habitue, surtout quand on confie ses petits petons à un pédicure dont le palpé-roulé vous remue chaque os de la rotule à l'astragale. Il n'y a que pour les épilations à la cire que je me confie à Vicky, une charmante étudiante en marketing qui travaille pour payer ses études car quand même, j'ai ma pudeur. En Inde, il faut savoir être patient, et moi qui aime que les choses aillent vite, j'ai dû vite m'adapter au tempo local. Pour une "couleur-brushing", comptez trois heures, pour une manucure-pédicure, comptez-en deux, ne me demandez pas pourquoi, c'est un mystère insondable, le temps doit s'arrêter ... Et pourtant, ce n'est pas la main d'œuvre qui manque. Ma coiffeuse rennaise Anne-Sophie serait pliée de rire si elle voyait Sai, mon coiffeur d'ici, faire son brushing assisté de ses deux acolytes. Trois sur ma pauvre tête qui n'en demande pas tant, l'un tenant le sèche-cheveux, l'autre une mèche, pendant que l'homme de l'art passe la brosse avec application. Enfin, autre trouvaille, j'ai découvert en Inde l'épilation des sourcils avec ... du fil à coudre ! Une extrémité du fil coincée entre ses dents (!), Vicky arrache le poil en formant un nœud à l'autre bout et en tirant dessus, sa tête effectuant un mouvement  pendulaire qui me fait mal au cou pour elle. Une méthode peu orthodoxe mais très efficace !